The Inspector Cluzo - 2012-05-21
Quelques semaines après le concert explosif de l’Inspector Cluzo au Run Ar Puns et autant de temps pour retrouver nos facultés auditives, l’heure de l’interview vérité a sonné. Quand un Breton et un Gascon, Laurent (chanteur et Guitariste) en l’occurrence, tapent le bout de gras, ça cause Stade Montois, Stade Brestois, du dernier et du prochain album tout en crachant sur l’establishment musical et mettant quelques taquets à François & The Atlas Mountain. Sans oublier de parler canard et potager… Let’s go for the show.
Rocklegends : Vous avez une attache très locale, vous parlez pas mal Gascon sur un album anglophone et vous êtes finalement un groupe très international. C'est quoi le vrai positionnement d'Inspector Cluzo ? Un groupe indépendantiste mondial ?
Laurent : Oui c’est ça ! Il n’y a aucune ambiguïté à faire du rock et chanter en anglais. La langue du rock c’est l’anglais. Sinon, en français, ça fait du « Bertrand Cantat » et il n’y a que lui et Noir Désir qui savent faire ça, sinon c’est de la copie. Le rock envoie des messages directs et l’anglais s’y prête bien. Après, le fait de parler en Gascon, de dire des conneries, car c’est une langue pour dire des conneries, c’est parce qu’il y a beaucoup d’humour dans ces vieux parler. Et puis en Gascogne comme en Bretagne et d’autres peuples au monde, les gens se regroupent…
Rocklg : En parlant de ça, des gens qui se rassemblent, j’ai l’impression que vous avez été marqués par votre passage aux Vieilles Charrues l’an dernier. C’est une vue de l’esprit ou … ?
Laurent : Non, tu as raison, ça nous a marqué car ce que nous avons vu aux VC est la version en musique de ce que nous avons vu hier soir au rugby. Il y a une espèce de communion, de ferveur. Il y a une sorte de candeur, d’humilité et de combat en même temps qui est assez rigolote et que je retrouve en Bretagne et aux Vieilles Charrues. On croyait être aux Fêtes de la Madeleine à Mont De Marsan et c’est énorme. C’est un super public aux Charrues. Comme le Fuji Rock au Japon, quand le public commence à rentrer dedans, ça part en sucette. On les a fait monter sur scène et c’est très rare là-bas car c’est interdit. Ca prouve à quel point il ont aimé car ils ont transgressé la règle ! On va jouer en Corée du Sud cet été et ça va être pareil. Et tu vois, on parle toujours de peuples avec de grosses histoires.
Rocklg : Vous avez d’ailleurs un putain de succès à l'international et un peu moins dans notre pays boulimique de Matt Pokora, de Johnny et des Enfoirés. Les choses s'améliorent un peu en France pour vous ? Ou ça vous donne vraiment envie de vous casser ?
Laurent : Ca s’améliore beaucoup depuis l’été dernier où on a fait les Charrues, les Franco et le Rock Dans Tous Ses Etats, beaucoup de très gros festivals. Et depuis la sortie de l’album on a fait la tournée des clubs en France. Sur 21 dates on a fait 300 places en moyenne et il y a très peu de groupes français qui le font. Pour nous, c’est super même si dans certaines régions c’est un peu compliqué comme à Nantes. On a bien compris que Nantes ce n’est pas la Bretagne (rires) ! Là-bas on a fait 150 personnes, on nous a dit que ce n’était pas si mal pour une première. Après on va jouer au Festival Couvre-Feu. On a amené quasi 700 personnes à La Cigale sur le week-end de Pâques… C’était notre public, des mecs bien pas des bobos. Des gens normaux quoi. Des familles entières qui viennent avec des enfants, des supporters Montois… Une vraie fête d’ici, un partage. C’était énorme ! On a fait deux heures et demi de concert, ça n’en finissait pas.
Rocklg : Le côté DIY (do it yourself) d'Inspector Cluzo, finalement ce sont des vraies valeurs, c’est une nécessité, une raison économique ou un vrai fuck à l'industrie du disque ?
Laurent : C’est un peu tout ça à la fois. Déjà, c’est pour défendre les valeurs que l’on a et qui vont à contre courant avec l’industrie du disque. Tous les médias importants, leaders d’opinion qui sont souvent sur Paris sont dans une forme de condescendance vis à vis des cultures de terroirs considérant que c’est de la sous culture. On a compris qu’il allait falloir se démerder par nous-même. Tu vois, même si on était chez Domino Records, ils ne seraient pas d’accord avec les conneries qu’on raconte en patois au début de l’album. Globalement, on a en face de nous un rouleau compresseur lobbyiste sur la pensée unique. Et les journalistes reproduisent le même discours….
Donc pour répondre à ta question, ce côté DIY c’est devenu un principe pour nous même si ça nous gave de voir des groupes monter à toute vitesse et nous dépasser en notoriété mais qui s’écrasent l’été suivant sur le mur. Nous on fait une carrière sur le long terme et ce n’est pas facile… Tu prends les Eurockéennes par exemple, ils nous adorent mais cette année ce n’est pas possible d’y jouer car la politique c’est de prendre des groupes qui ne sont pas déjà passés. On est en plein dans le consumérisme culturel. Du coup ça fait la part belle à des groupes comme François & The Atlas Mountain et des merdes pareilles !
Rocklg : Du coup, vous pouvez nous parler un peu de Fuckthebassplayer Records ? Qui travaille avec vous ? C’est un trip familial, je crois que c’est ta mère qui m'a vendu votre disque. Un truc improbable mais terriblement jouissif.
Laurent : C’était exceptionnel, ils ont juste fait quelques dates avec nous. Comme ça se fait ici, tout le monde met la main à la pâte. En fait, Fuckthebassplayer Records, on est trois dont Matt et moi. On est dans une vieille maison sur le haut de la colline de Mont De Marsan. On a le studio dedans, un grand jardin avec le potager et les canards vont arriver ! Le merch’ est dans le garage avec Nath ma copine qui nous aide et qui fait l’administratif et la compta et tout ça… Et après on a un expert comptable de Mont De Marsan, les t-shirts sont faits par la marque Adishatz, la marque Gasconne typique. Le Stade Montois nous aide aussi… Cette indépendance est fondamentale pour nous. On a des propositions de tourneurs mais pour le moment on reste comme ça, on contrôle tout et ça nous permet de recouper plus vite financièrement. Ca finance des dates au Japon par exemple… On fait de l’artisanat, pas riches mais pas non plus dans le besoin.
Rocklg : Et qu’est ce qui se passe si demain le succès vous sourit comme aux Black Keys par exemple – quand on parle de duo garage blues-rock ? Vous tournez le dos ou vous rentrez dans la boucle ?
Laurent : On n’arrivera jamais au niveau des Black Keys ! Aujourd’hui derrière ces mecs-là, c’est la « World Company ». Ils sont sur label Warner, ils ont le plus gros agent et le plus gros management américain. Nous, on refuse de traiter avec ces gens-là. On pourrait frapper à la porte de Radical Production mais non ! On sait qu’on se ferme certaines portes et que du coup jamais on accèdera à ce niveau là. Mais il y a une vrai fierté chez Cluzo de faire 200-300 personnes dans quasi 30 pays du monde avec ce public de 15 à 70 ans. On s’est fixé un objectif, faire entre 600 et 1000 dans toutes les grandes villes françaises. Ca ferait des putains d’ambiances ! Il faut nous souhaiter de continuer à faire de la bonne musique, des bons concerts et avoir la santé pour continuer. C’est déjà génial ce qu’on arrive à vivre en faisant zéro compromis. On est le seul groupe français à tourner à l’international sans avoir de corp’ derrière…
Rocklg : The 2 Mousquetaires contient encore son lot d'indignations, égratignant avec justesse de grosses aberrations. On pense à « Fuck The Bobos », « Fuck Free Hughs", « Power To The People »... The Inspector Cluzo est un groupe contestataire, dénonciateur ou complètement désinvolte au final ?
Laurent : On est typiquement dans l’essence Gasconne. C'est-à-dire qu’on dit les choses et on les applique, envers et contre tous et tout ce qui est établi. Quand tu es comme ça ici, on t’estime. On n’est pas forcément dans une culture de gagneur, il faut juste faire les choses avec courage. Pour répondre à ta question, on n’est pas spécialement des contestataires, on dit juste des choses normales et logiques. Et les sujets qu’on traite dans la bd sont les mêmes partout dans le monde. On a eu des discussions au fin fond des Etats-Unis avec des Américains qui pensaient la même chose que nous.
Donc on est indigné mais comme toute personne aujourd’hui normalement constituée et non égoïste dans un monde complètement débile. On n’est pas plus révolutionnaire que les autres, c’est juste la période que l’on vit qui nous pousse à aborder ces thèmes.
Rocklg : Musicalement, ce nouvel album est encore plus orientée soul funk, avec une grosse présence de cuivres. C'était une véritable volonté ou juste le trip de jouer encore avec des potes ?
Laurent : Oui c’est ça, le plaisir de développer les parties soul et funk et d’être avec des gens sympas avec qui on a envie de partager des choses et qui nous amènent d’autres horizons. Il y a de grandes chances aussi qu’ils soient sur le prochain album...
Rocklg : C’était aussi une envie de se réinventer ? Car on sait qu’à deux ce n’est pas toujours simple…
Laurent : Oui oui, tout à fait ! C’est tout à la fois, le plaisir, le partage avec d’autres gens qui nous amènent des choses. Le concert avec les cuivres ça le fait ! Du coup on compose de nouveaux morceaux, on en a déjà quatre ou cinq pour le prochain album qui va arriver vite, en mai 2013, je pense sous forme de bd album aussi. Il y aura des chansons où les cuivres seront quasi intégrés. Car sur le dernier album, ils ont été rajoutés à part sur quelques morceaux.
Rocklg : Du coup finalement, on vous souhaite quoi ?
Laurent : De continuer à faire ce qu’on fait et tenir notre pari. Ne pas appartenir à un gros label, un gros tourneur. Ne pas avoir les portes trop fermées et que le public continue à nous rencontrer et que les villes succombent petit à petit. Il faut être patient, ça va durer deux ou trois ans encore… mais ça avance, on le sent ! Il faut aussi nous souhaiter que les canards soient bien gavés pour qu’ils soient bons ! (rire)
Merci à Laurent pour sa bonne humeur, la richesse de nos échanges et son franc-parler dans ce monde de langue de bois ! Rock on Cluzo et à bientôt sur les routes.
Propos recueillis par Jean Jean