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Moriarty - 2010-10-27

Actuellement en pré tournée, avant la sortie de leur deuxième album studio au printemps 2011, Moriarty tente le diable et joue la plupart de ses morceaux inédits chaque soir sur scène. Une aberration pour l’industrie musicale, une logique implacable pour le monde artistique. Compte rendu d’un échange passionnant avec Stephan Zimmerli aka Stephan Moriarty. Rocklegends : A l’aube de la sortie de votre deuxième album, comment se porte Moriarty ? Stephan Moriarty : Il y a eu trois ans de voyages et une première vraie tournée dans le monde, on a été épuisé, comme toute personne qui est en errance pendant trois ans sur la route et qui perd toutes ses attaches. Et puis on s’est retrouvé dans une petite chambre rouge, un petit studio à côté du cimetière du Père Lachaise à Paris pour se reconcentrer, retrouver quelque chose… On s’est reposé à partir de la fin de notre tournée à Bombay le 24 décembre 2009 pour s’éparpiller aux 4 coins de l’Inde. Ca a fait le plus grand bien à tout le monde de voir autre chose. On s’est retrouvé et ça fait plaisir de repartir avec un nouvel album et du sang neuf qui est en même temps enrichi de tout ce qu’on a trouvé sur la route. Nous avons maintenu des chansons en gestation sur la route mais c’était très dur de les finaliser vraiment. Il nous fallait le recul. Nous sommes plutôt un groupe à création lente comme nous n’avons pas le leader, les choses prennent du temps. Les chansons circulent entre les uns les autres… Arrivé en septembre, sans trop y croire, on avait quinze nouvelles chansons qui étaient là et on a décidé de les jouer sur la route et de retrouver notre public, sans faire trop d’annonces. Les gens qui viennent sont ceux qui veulent vraiment voir Moriarty, ils n’auront pas été drainés par une quelconque radio, télé ou presse. On leur présente le nouvel album sur scène alors qu’il n’existe pas physiquement. Cette tournée, c’est pour faire maturer les morceaux dans la réalité de la salle de concert. Elles sont un peu différentes tous les soirs. Nous-mêmes, on les cherche sur scène. C’est un peu étrange mais c’est lié au fait que l’on recherche un peu plus d’indépendance… On réfléchit encore à la relation entre la musique et les maisons de disque et toute la machinerie qu’il y a derrière. Rocklg : Ca veut dire qu’il y avait plus de pression autour de ce deuxième album ? Soit au niveau du groupe, soir au niveau de la maison de disque ou le label ? S.M. : Clairement le label a rechigné à ce qu’on disparaisse trop longtemps, il voulait un album très vite, le plus rapidement possible pour des raisons qui ne sont pas artistiques mais purement commerciales. Donc on a du résister et nous sommes toujours un peu en bras de fer car on part en tournée avant et c’est un peu aberrant pour eux mais on a quelque part imposé nos règles… C’est la réaction du public ou son énergie qui nous donne l’indice de savoir si la chanson est mûre ou pas. Et lorsque l’on joue en concert, nous avons aussi une autre intensité de jeu que lorsque nous sommes en studio. C’est ça que l’on cherche dans la musique. Le premier album, nous l’avons peut-être trop joué en studio… Nous ne sommes plus dans les rouages de l’industrie maintenant. Nous avons un peu sauté de l’avion sans parachute ou plutôt en cousant le parachute pendant qu’on descend. Rocklg : C’est peut-être aussi le prix de la liberté ? S.M. : On verra quel sera le prix à payer. Mais là on jouit pleinement des concerts. C’est assez fort d’être comme ça. Rocklg : Pour revenir un peu en arrière, vous avez tourné un peu partout dans le monde, Japon, Etats-Unis, Australie, un peu partout en Europe… quel accueil avez-vous reçu à travers le monde confrontés à toutes ces cultures ? S.M. : On est très heureux car sur tous les territoires où nous sommes allés, on a retrouvé un lien un peu primitif avec le public. Que ce soit à New York en plein Manhattan - l’épicentre de la culture occidentale – c’était très chaud, très simple là-bas. On a joué aussi en Inde, à New Delhi par exemple alors que tout le monde était emmitouflé dans des couvertures et grelottait de froid dans un amphi à ciel ouvert avec des gens qui ne nous connaissaient pas. Mais au bout de 5 ou 6 chansons, il y a eu l’embrasement. On cherche le frisson dans le dos avec le public comme dans les grands concerts rock mais, nous, avec peu de moyens. Rocklg : Serait-ce insultant de dire que Moriarty est un groupe de Cabaret avec tout ce que cela implique d’ambiance, de chaleur et de proximité ? S.M. : Non, ce n’est pas insultant du tout ! Pour nous, le cabaret ça évoque la période berlinoise d’entre deux guerres qui est le cœur de ce que l’on nomme cabaret en général après, ça a pris une autre forme aux Etats-Unis mais effectivement il y a une idée de théâtralité mais pas au sens des institutions du théâtre mais plutôt dans la notion d’échanges, de chaleur. Au début un théâtre c’est juste une pièce circulaire qui réuni des gens qui sont physiquement ensemble et c’est ça que l’on recherche. On est tous là pour se raconter des histoires et c’est ça pour nous qui crée le lien. Notre forme d’écriture tend de plus en plus vers la narration. Et c’est très différent de beaucoup de groupes – de rock par exemple – qui racontent des choses plus abstraites à la première personne ou qui scandent des choses. On va tendre vers la narration des musiques traditionnelles. Donc on ne va pas utiliser exactement le mot cabaret car il est réducteur et après on va nous attendre avec des rideaux rouges et un univers que l’on ne veut pas forcément trimballer… Rocklg : En France, on a besoin de cataloguer ? S.M. : Oui, j’ai souvenir d’un passage télé où l’animateur issu des années 80 voulait absolument nous cataloguer country. Or country, c’est ce qu’on croit être l’adaptation française de la musique de cowboys. Et on aimerait bien que nos auditeurs comprennent que c’est un peu plus complexe et que les Etats-Unis c’est une terre de mélange et d’immigration et pas juste un farwest de cowboys. Rocklg : Oui, c’est exactement ce que l’on retrouve dans la musique de Bob Dylan par exemple, ce n’est pas uniquement folk, pas uniquement pop… S.M. : … ça devient urbain, il y a des mélanges ethniques qui sont intrinsèques à cette musique et c’est ça qui nous fascine. On est tous issus de familles ayant été déracinées, exilées, immigrées… Nous sommes nés en France mais notre musique nous sert à cela, retrouver notre part d’exilés… Rocklg : c’est un peu ce que vous retenez de ces trois dernières années de tournée, de voyage et tous ces concerts dans le monde, toute cette mixité ethnique et culturelle, c’est quelque chose que vous aviez besoin de retrouver ? S.M. : Complètement… Des fois à la sortie des concerts, les gens nous demandent « mais en fait vous êtes français ? On pensait que vous étiez américains ou canadiens, vous nous avez bluffés ! ». Mais en réalité, faut-il dire on est français ou canadien, français ou américain ? Un « ou » qui est exclusif… La France est un vieux pays qui aime bien l’enracinement et les identités. Rocklg : En France on a besoin de repères peut-être ? Mais c’est tout le contraire de Moriarty… On ne sait pas trop qui vous êtes et d’où vous venez. Il y a une sorte d’énigme autour de Moriarty puisque vous avez tous pris le patronyme Moriarty, il n’y a pas grand-chose sur Internet sur vous. Vous ne faites pas non plus beaucoup d’interviews en radio ou télé… S.M. : … oui du coup, ça laisse cette zone grise. Mais ce n’est pas grave et on l’assume ! A travers notre musique, nous brouillons les pistes et ça nous plait. Rocklg : Vous êtes citoyens du monde c’est ça ? S.M. : Tout à fait, c’est un terme un peu éculé mais c’est ça. J’aime à dire qu’on est citoyen des postes frontières comme on dit. On choisirait une nationalité des no man’s land comme avant, entre les deux murs de Berlin avec cette « interzone »… Au début on nous a tiré un peu dessus parce qu’on chantait en anglais mais nous sommes bilingues alors on ne fait pas semblant. C’est notre langue d’expression maternelle pour quatre d’entre nous. Rocklg : J’ai lu que le prochain album serait plus électrique, sera-t-il plus rock dans l’âme, plus engagé dans ses mélodies ? S.M. : Il n’y a pas eu de choix très rationnel mais je pense que ça vient de notre tournée, c’est le contexte qui nous a formé. A la base on est un groupe de rock. Nous sommes cinq membres fondateurs et chacun a son bagage. Moi j’écoute quotidiennement Sonic Youth, Radiohead ou Dylan… Notre guitariste ou notre chanteuse écoutent complètement autre chose. Mais l’une de nos facettes est l’énergie rock pure sur scène. Et du coup ça a émergé via la tournée via le déchaînement d’énergie sur certains plateaux de festivals comme à Austin au Texas ou au japon. Tout d’un coup, ça donne des envies d’explorer ces énergies là. Pour répondre à la question, c’est un peu plus électrocuté que le premier album car il y a des thèmes que l’on a vu, que l’on a vécu en tournée. Dans les sons aussi parce qu’on a ramassé des instruments sur la route. Je pense à une mini Thunderbird – genre pour bébé – trouvée à Stockholm. On a trouvé aussi de vieilles pédales de sons, d’écho ou de réverb pour l’harmonica, donc il se permet de sortir du cadre purement acoustique. Je suis tombé amoureux d’une mini basse électrique trouvée à Austin et ça a électrisé tout le monde. Rocklg : On va se lâcher et tenter d’être un peu fou, qu’est-ce qu’on peut souhaiter à Moriarty dans les années à venir dans les rêves les plus déglingués ? S.M. : Une tournée dans les Pouilles ! Si on arrive là, on aura atteint un but dans notre vie. Parce que outre notre identité franco-américaine, on a une identité-franco italienne et on n’a jamais fait de concerts en Italie à part dans des trains de nuits ou des châteaux en ruines. On aimerait beaucoup rencontrer le public italien. C’est un rêve très intime pour le groupe… D’aller jouer en Sicile aussi. Une grande partie de notre vie est en Italie aussi. Sinon, de manière plus musicale, on aimerait mélanger notre musique à d’autres formes que nous n’avons pas encore explorées. Plus rock ou avec des musiciens classiques ou des musiciens créoles ou de tango… Et ça on aimerait squatter un lieu, un théâtre Paris et faire ça ! L’autre grande chose serait le cinéma, l’écriture au service d’une image. On l’a fait déjà un peu, on a expérimenté un dessin animé. On s’est prêté au jeu et on a fait des musiques pour des pièces de théâtre aussi, on a composé dans un vieux ciné des années 50 à Nîmes. Rocklg : Un concert d’Arcade Fire a été tourné par Terry Gilliam cette année… Ce rapport entre l’image et la musique, c’est un truc qui pourrait vous arriver, pourquoi pas ? S.M. : Ca, ça serait assez fou ! Actuellement, au niveau des lumières, nous avons fait une création avec un mec qui s’appelle Fred Poulet qui était musicien, chanteur puis réalisateur de documentaires, de films expérimentaux. Maintenant il fait les lumières pour nos concerts. C’est une rencontre géniale avec un bonhomme génial qui a vraiment saisi la dimension cinématographique dans notre imaginaire et qui l’a traduite par des lumières expressionnistes inspirées de films noirs et expressionnistes allemands. Merci à Stephan pour sa disponibilité, son écoute et surtout la qualité de nos échanges. Propos recueillis par Jean Jean

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